Construction traditionelle

Construire une maison c’est un peu le rêve de tout le monde j’imagine.
Sur le terrain il y avait un vieil hanaré (annexe) construit a l’origine pour l’élevage des vers à soie. Au début je songeais le retaper moi même mais ce jusque S., charpentier, nous explique que le bâtiment était en trop mauvais état et que construire quelque chose de nouveau à la place serait bien plus agréable à l’œil et plus durable.
Venait donc la question du budget. Nous avions un budget bien déterminé. Au début S. nous expliquait qu’il faudrait le double de Yens. Alors voyant que la conversation allait dans cul de sac, nous avons changé l’approche et avons abordé le problème différemment :
« – il y a X millions de yens dans le budget. Qu’est ce qu on peut construire avec ça.
– mm 20 mètres carrés. »
Ok. Ca fera un joli rectangle de 4m sur 5m.
Il y a deux grandes ouvertures, une qui donne sur la montagne, et une qui donne sur le chemin et les voisins. L’orientation du toit. Le faite du toit sera parallèle à la route et à la rivière. Cela offre la possibilité d’agrandir le bâtiment plus tard, d’y ajouter une petite pièce par exemple, si un jour le cœur nous en dit.

Sachant le budget limité nous faisons au plus simple. une toiture simple, on retire la porte du plan etc.
Il fallait ensuite penser au plan. Le voici.
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Tout est clair désormais. On ne discute pas trop du style. Après avoir visité l’énorme villa qu’il est en train de construire dans une montagne proche, on lui laisse carte blanche.
S. s’affaire déjà. D’abord il faut faire place nette. Il rase le hanaré. Beau travail. Self control, connaissance approfondie de la mécanique.
Ensuite il apporte des pierres, sur lesquelles reposera l’édifice.
Il faut noter que la loi Japonaise proscrit de faire ainsi reposer les piliers d’une construction sur des pierres isolées. Tout devrait reposer sur une fondation solidaire.  Cependant le village est situé dans une zone où il n’y a pas de plan d’occupation des sols. On peut donc construire vraiment à l’ancienne, comme il y a 1000 ans, sans devoir se soucier d’être conforme aux règlements qui ne s’appliquent pas ici.
Ce que je veux dire c’est que vous ne pourriez pas construire la même maison à Tokyo. Il vous faudrait une grosse fondation en béton et beaucoup d’autres choses.
Les pierres sont alignées et mises a niveau.
S. ensuite part dans les montagnes. Il a demandé à un voisin de lui laisser couper son bois. Malheureusement trop pris par le travail je n’ai pas pu l’accompagner dans les forêts et le voir abattre les arbres. Il les descend des montagnes sur un petit engin à chenilles, une société vient les chercher pour préparer et découper les troncs.
Quelques semaines plus tard je visite l’atelier de S. ouvert à touts vents et où ses chèvres aiment se promener. Elles affectionnent grimper sur les poutres, qui, préparées, sont a sécher.
S. annote les poutres. Il me demande quelle hauteur je souhaite pour la maison et là encore je le laisse décider.
S. voit que je lui pose des tonnes de questions et prends des tonnes de photos. Il voit tout l’intérêt que je porte à son travail et également à son caractere et sa personnalité. Il est clair que pendant ces travaux nous nous voyons presque tous les jours et que nous devenons amis.
Le soir, il nous invite à griller des viandes dans son atelier. Les enfants jouent aux samurais avec de grands sabres de bois, la nuit dans les chemins entre les rizières. Ou alors nous allons chercher ensemble les grenouilles.
Les vieux du village passent en promenant leur chiens il s’arrêtent, boivent un verre et discutent un peu.
Les poutres annotées, S. les prepare en découpant des encoches, taillant chenons et mortaises. Tout est prêt pour le grand LEGO !
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On attend deux jours sans pluie et commence l’assemblage des poutres. Tout se déroule, synchronisé et préparé en séquences, comme dans un spectacle. On assemble une face de la façade que l’on va dresser avec la grue et fixer sur les pierres.
On continue avec les poutres horizontales, auxquelles viendra se fixer la deuxième façade. On fixe le tout avec des poutres supplémentaires, qui supporteront la toiture.
La première journée est vraiment spectaculaire, car en un jour tout est fixé. La toiture est finie le lendemain.
Comme tout est en bois, on ne peut se permettre de badiner et de tout laisser exposé aux éléments. Il est donc primordial de terminer la toiture le plus rapidement possible.
Les charpentiers travaillent en hauteur. A l’ancienne. Pas d’équipements de protection. Pas de casque, pas de gants, pas de cordage de sécurité. Ces gens là  fonctionnent à l’instint et au feeling. Les artistes.
On met le bâtiment a l’équerre.
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Une poutre est un peu de biais, S. monte sur le toit donne des coups de maillet.
On enfonce ensuite les chevilles pour fixer les parties les unes les autres.
Intervention du couvreur.
Puis commence la pose du plancher.
Et ensuite les murs de terre. (on dirait torchis en francais ? j’utilise la traduction directe du japonais tsuchikabe = mur de terre). Pour celà on installe d’abord des lattes de bois qui viendront soutenir le mur de terre. On installe aussi les sujikai, planches posées en diagonales qui lient les piliers. Elles seront ensuite intégrées dans le mur et invisibles. Pourtant ce sont elles qui vont empêcher le batiment de pencher et le garder droit dans ses bottes.

On installe ensuite un fin réseau de lattes de bambou. On les installe dans les murs. La terre viendra s’agripper aux bambous. Les bambous sont avec les planches de pin du parquet le seul matériau importé. Le bambou vient de Chine. Choisir le bambou pour les murs de terre est très delicat, explique S. Il faut le choisir à la bonne époque dans l’année.

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L’électricien passe, avec sa femme à moustache. Il installe les cables électriques pour l’eclairage et les prises, ils seront recouverts de terre.
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Puis, on livre la terre. Le maçon intervient. On pose deux couches. Il faudra ensuite attendre de longues semaines pour que la terre sèche. C’est important, car sinon on pourrait avoir de la moisissure. L’intensité des travaux baisse un peu. Le peintre vient peindre les poutres extérieures. Le menuisier pose le parquet définitif. Il recouvre aussi la partie basse des murs intérieurs avec de jolies planches de bois. Les finitions prennent beaucoup de temps. Il explique, c’est comme tout, que pour avoir un beau résultat il faut y mettre du temps et de l’effort.
Quelqu’un vient poser les goutières.
Beaucoup plus tard, les murs de terre ont séché. On prépare les yaki ita. Pour ce faire, on carbonise au chalumeau une face de longues planches de bois, que l’on va fixer aux murs extérieurs, pour les protéger des insectes et des précipitations.
On ne recouvre pas la totalité des murs extérieurs. Les yaki ita vont recouvrir les 80% de la façade. Les 20% qui restent, en haut, entre la toiture et les yaki ita, vont être recouvertes d’enduit – shikkui.
On remarque que la plupart des anciennes maisons ont été ainsi construites. Un bel exemple ici de yaki ita…
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La lumière joue. Elle se reflète dans le blanc de l’enduit, et s’abîme dans les planches carbonisées. C’est un beau contraste.
La maison est quasiment terminée. Le résultat est vraiment au delà de mes attendes. Je voulais quelque chose de simple, pratique et pas moche, et le résultat est simple, pratique et beau !
Au dela du projet en lui même nous nous sommes faits de nouveaux amis et nous avons observé avec joie le magnifique travail des artisans. Nous avons beaucoup appris. Et cette expérience en elle même valait vraiment la peine.
Voila des gens exceptionnels. Ils travaillent dur. Ils ont toujours le sourire et une histoire à raconter. Ils suivent un code strict. Ils ne viendront jamais par exemple emprunter vos toilettes. On se demande quand ils font pipi. Et lorsque vous leur offrez une canette de café ou un jus de fruit, ils emportent la canette ou la bouteille de plastique vides avec eux, pour vous éviter d’avoir a ranger. Ces détails comptent.
Ce sont de vrais pros.
La dureté du labeur, ils savent la compenser et l’absorber avec de très bonnes habitudes. Ils commencent tôt le matin, à 7 ou 8 heures et finissent tôt le soir, à 5 heures. Ils savent également prendre beaucoup de pauses. Je remarque que la cigarette est une distraction appréciée. Ils aiment souvent, clope au bec, travailler. Ils sont pros et travaillent en silence. Quand ils travaillent, très peu de mots inutiles; ils sont a fond dans la tache.
Je comprends aussi beaucoup mieux comment sont construites les maisons japonaises traditionnelles. Il y a du style, et une grande économie de moyens. Et puis, c’est très pré-globalisation, car 98% des matériaux sont produits localement. L’impact CO2 que certains aiment calculer est minimum, tout est produit dans un rayon de 1 à 20 kilomètres. Seul le bambou des murs est made in China. Et il n’y a que les interrupteurs électriques qui soient en plastique.
Même ici dans les montagnes nous sommes cependant un oiseau rare, car la plupart des gens préfèrent faire construire selon des procédés modernes, ils préfèrent les maisons en plastique et en contre-plaqué que proposent les grandes sociétés de construction. Le système. Supply Chain. L’absence de goût. Les gens je crois se laissent tromper, ils confondent prix et valeur. Dans le village cependant les habitants nous félicitent de notre choix; d’avoir opté pour une construction traditionnelle.
Le négociant de terre, qui nous a fourni pour les murs de terre, a fermé boutique, nous aurons été son dernier client. C’est un savoir-faire, un savoir-être que nous voyons disparaitre un peu.
Nous somme bien heureux d’avoir pu faire tout celà.

15 Commentaires

  1. nat.a.ly

    Merci pour cet article, je tiens à vous féliciter d’avoir fait ce choix judicieux.
    Rien ne vaut la qualité et la valeur de ces maisons à l’ancienne, surtout quand les artisans y mettent tout leur coeur. 🙂

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  4. saxobenevole

    Magnifique ! J’ habite une maison de bois , fournie à la France en dommages de guerre 14/18 , bien moins bien faite que la vôtre elle a été entourée de brique dans les années 40 ! Belle intégration dans le village , bravo !

  5. wakametamago

    Bonjour saxobenevole
    Les maisons de bois sont rares en France. très intéressant. Aurais tu sur ton blog des photos de ta maison ?

  6. saxobenevole

    Voilà un lien vers une qui est restée telle qu’à sa construction après 1918 . J’ habite en plein sur le front de la bataille de la Somme et par ci ,par là on en voit encore qui sont habitées telles quelles où sont restés après la reconstruction en dur de la vraie maison , servant de dépendances .

  7. Catherina Rozsahegyi

    Ohayō ! Salut ! et encore merci de partager tes experiences qui sont le reve de plus d’un francophone japonomane. Peux tu nous faire un article sur les portes coulissantes ? j’ai beau regarder dans les anime ou les films, je comprends que les panneaux glissent et qu’ils peuvent se deboiter mais quelle est la forme des chanfreins ? Y a t il des rainures dans le sol, au plafond ? Mettons de l’huile ? Dōmo.

  8. Haïk Findji (@haik_findji)

    Bonjour ! Un grand merci de partager tout ça, tu donnes à rêver !
    Encore étudiant en architecture, je me destine avec de plus en plus de conviction envers certains aspects des valeurs traditionnelles japonaises et leur pertinence face à la thématique actuelle de la durabilité. Je prépare actuellement une année de césure pour approfondir mes recherches avant mon diplôme et apporter bénévolement mon aide sur des lieux de construction. Malheureusement (et bien heureusement) il est très difficile d’avoir accès à ce monde de la construction à échelle humaine depuis internet, j’ai donc beaucoup de mal à organiser ce voyage très spécifique au Japon.
    Si les grandes lignes de mon projet éveillent ton intérêt j’aimerais vraiment pouvoir en discuter plus longuement, me présenter correctement et savoir si l’un des charpentiers de ta belle campagne aurait besoin de quelqu’un pour porter son bois …
    Merci !
    Haïk

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