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La sagesse des villageois se transforme en pépites d’or
Article connexe en Japonais ici
Je me suis fait tant de nouveaux amis et de nouvelles connaissances depuis notre installation au village.
Certes quand je me balade dans la vallée à pinces ou à vélo je salue tout le monde, et j’en profite souvent pour discuter un peu. C’est toujours l’occasion de me renseigner sur la vie au village autrefois, comment les gens jardinent etc …
Et puis aussi je suis souvent fourré dans l’atelier de mon ami Saki chan où les promeneurs eux aussi viennent faire une pause et taper la discute; que des occasions d’apprendre et de me renseigner.
Sans oublier de dire que la plupart des gens que je rencontre sont plus âgés, presque tous sont à la retraite (les jeunes eux pendant ce temps travaillent).
Et donc ainsi je peux profiter de la sagesse accumulée des « anciens », des ainés.
Pour moi leurs paroles, les histoires qu’ils me racontent, ce sont comme des pépites d’or, des petits morceaux précieux de connaissance.
Je marche sur leurs pas, et je ramasse les pépites pour les mettre dans ma besace….
Et de tout cela, j’en fais un dessin.

Tous les personnages dans le dessin sont « réels ».

1 Monsieur O, qui chasse chevreuils et sangliers avec style et compassion
2 Monsieur I, sensei de shakuhachi, la flûte traditionnelle en bambou
3 Mister F, grand connoisseur de littérature et de musique et qui partout où il va transporte un piano avec lui.
4 Un autre Mister F, un grand sage, qui a le talent d’arrondir les choses et de les rendre plus simples
5 Saki chan que vous connaissez déjà, si vous suivez le blog ou avez lu ma bande dessinée
6 Le prêtre bouddhiste du village; également amateur de rock punk
7 Monsieur K, qui a vraiment tous les talents et réussit tout ce qu’il entreprend (sport, construction, pizza, musique)
8 Madame E (elle est ausssi dans ma bande dessinée) qui est si gentille, et aime beaucoup les chats et les animaux
9 Madame T (elle est ausssi dans ma bande dessinée) dont l’humour noir me surprend toujours.
Autour du puits
Mon ami S charpentier en mi retraite a un petit chantier chez ma voisine Mme T: rehausser l’auvent devant son grenier.
C’est dimanche matin à 8 heures, je vais voir et j’apporte des cafés.
Le grenier en question date de Meiji, en Japonais on dit Kura. C’est là où l’on gardait les récoltes et les trésors de la famille. La construction faite avec des murs et des portes de torchis très épais est dite résister aux incendies.

Devant le kura il y a un puits que complète un évier en ciment.
Chez mes grand parents en Charente dans l’île d’Oléron; chez ma grand mère en Charente profonde il y avait un puits aussi…
Un auvent s’étend le long du kura. Il s’étend pour protéger le puits et l’évier des intempéries. Et celà crée un excellent espace pour les petits travaux, comme préparer les feuilles de thé par exemple.
Notre maison avait un puits parait il mais il aurait été bouché. Il se plaçait pas trop loin de là où j’ai mis mon bureau, peut etre qu’un jour; alors que je bosse, au téléphone avec mes collègues du Texas, pouff, le sol va se défaire sous moi pour m’engloutir dans l’ancien puits.

Un puits c’est vrai c’est un peu magique, c’est là où on pouvait planquer des trucs; tout ce qui dérange …. le bonheur est dans le pré … aussi dans le puits…
Deux poteaux supportent l’extension de l’auvent, un des deux est posé directement sur la terre (quelle mauvaise idée) et avec l’humidité du sol il s’est mis à racourcir, faisant pencher l’auvent. d’un côté..
Le travail consiste à 1 soulever l’auvent avec un cric, 2 poser une grosse pierre; 3 couper à hauteur le poteau déjà raccourci et le poser sur la pierre.
Le travail prend en tout une heure… Mais c’est la conversation du début…

Mme T, S. et s’assoient dans le jardin. Je distribue des espresso.
T et S se connaissent peu. Ils commencent à parler du village.
Mme T a plus de 80 ans. Elle parle de la guerre, les bombardements, les B25; elle était écolière à l’époque, S raconte comment sa mère qui y travaillait dans une usine de textile avait fui la ville de Himeji le jour de son bombardement (700 tonnes de bombes incendiaires larguées)…
Elle évoque les nombreux voisins et membres de la famille qui ne sont jamais revenus.
T raconte la période difficile de l’après guerre. Faut dire, c’était la misère. Pendant les vacances d’été avec sa mère elle faisait des sandales en paille de riz ‘wara zori’ qu’elles allaient ensuite apporter à l’école, pour que les élèves aient quelque chose à se mettre aux pieds. 藁草履
La conversation switche ensuite sur la période de l’avant Meiji et j’ai l’étrange impression que pour S et T c’est un sujet beaucoup plus confortable.
T sa famille est dans le village depuis huit siècles, elle parle de l’histoire de sa famille, puis elle demande à S, s’il n’est pas un descendant de Miyamoto Musashi avec, son nom de famille en effet ! Vraiment on est bien entourés.
Il confirme; dit d’ailleurs que son arrière arrière grand père était un samourai … il dit: ‘il coupait les gens’.. Cette expression me rappelle les films de Kurosawa qu’à une époque je visionais en boucle pour apprendre le japonais.
Dans les deux familles les katanas (sabres) ont tous disparus; ils ont été volés, à un moment ou un autre. S. dit qu’enfant ils avaient encore une lance à la maison (yari) et qu’ils l’utilisaient pour la chasse. Dans un autre registre mon arrière grand père Gaston utilisait une baillonette prise aux Allemands en 14 pour récolter les asperges dans le jardin …
Je vis au Japon, mais dans ces conversations, la France, pour moi, n’est pas loin du tout … les repères sont similaires.
Après les travaux, l’idée me vient qu’il faut pas s’arrêter comme ça, et je convie S et T à venir le soir manger quelques brochettes de poulet que nous feront griller dans le jardin.
Ce qui nous permet de passer une excellente soirée.
Pour les brochettes de poulet, j’ai fait reposer la viande de poulet dans ce mélange trouvé sur le Net: Huile d’olive, poivre et sel, de la coriandre, un peu de curry indien, des herbes de provence et du sirop d’érable.

J’utilise le compresseur pour booster le charbon de bois

Cérémonie shintô dans le village
Dans le sanctuaire shintô de notre village a lieu une cérémonie, dont d’ailleurs j’ignore le nom.
Cette cérémonie a lieu chaque année à la fin de l’été.
J’ai eu l’occasion d’en parler déjà, en 2012 ici, plus tard en 2016 ici
Cette année j’ai une caméra vidéo et filme l’événement.
Faut grimper un joli chemin pour y arriver. J’y retrouve mes voisins formidables. Il y a le chef du village qui discute avec le prêtre shintô pendant que les visiteurs prient.
Je suis avec ma voisine madame T à qui je pose la question fondamentale: depuis quand existe le Japon.
Puis; commence la cérémonie que je filme dans son intégralité.
Dites moi ce que vous en pensez, quelles sont vos impressions?
Conversation au bord de la route, et Gide
Je me promène: mon chemin préféré qui monte jusqu’au barrage.

Tiens, voila la voiture de monsieur K.
Monsieur K. quel phénomène, il se promène toujours avec ses deux chiens; ils sont la à l’arrière de sa voiture, ce sont des chiens de chasse et monsieur K. est l’un des derniers dans notre vallée qui chasse, avec un fusil. Les derniers chasseurs du village le font avec des pièges.
K. est venu s’installer dans le village il y a quelques années.
Il s’arrète. Sa voiture est toute bricolée, il a ajouté des crochets pour y fixer des outils; on voit, cet homme est un homme libre et il sait mener sa barque. Et le sourire constament sur son visage et ses petits yeux qui brillent tout le temps. Il a tant d’énergie !
K: Tu aimes la tortue ? il entame la conversation
Wakamé Tamago: J’en ai déjà mangé, il y a bien longtemps … mais non je n’en mange pas vraiment… Tu as pris une tortue ?
K: Oui ! j’ai pris deux suppon ! je les ai péchées. La plus grosse je vais la préparer et la cuisiner demain. L’autre, plus petite; je l’ai relâchée. J’essaierai de la repêcher une fois qu’elle sera plus grosse.

WT: Ah! tu es un sacré cuisinier nous avons tellement aimé le chevreuil que tu avais préparé mais je vais passer pour la tortue … merci … A propos ça fait longtemps qu’on s’est pas vus ? pas de problème ?
K: Ah ! ma mère est décédée … j’ai été très occupé … des affaires à régler …
WT: Ah … tous mes regrets … quel âge avait-elle ?
K: Elle avait 101 ans!
WT: Quel âge ! C’est fou ! Mais, toi, quel âge as-tu ?
K: Oh ! moi je suis jeune ! je n’ai que 74 ans !
La longévité, être jeune dans sa tête.
On vit souvent de si bons moments, ici, dans le village.
Ajoutons ici deux beaux passages trouvés dans les faux monnayeurs, de Gide, dont je viens d’achever la lecture et que je voudrais partager avec vous.


Opération Champignon
La dernière nouvelle au Japon c’est que les foules se sont jetées sur le PQ dans les magasins, suite apparement à de fausses infos diffusées sur les réseaux sociaux. Rupture de stock partout.
Laissons tout celà de côté. Aujourd’hui c’était opération champignon.
La voisine Madame T., j’avais fait un article à son sujet.
Depuis quelque temps, elle veut cultiver des champignons shiitaké. Elle a quelques belles branches de marronnier, des marronniers qu’elle a fait élaguer. Elle a aussi commandé ce que l’on appelle ici des tanékoma, j’ignore la traduction française. Ce sont de petites pièces de bois imprégnées du champignon.
Je lui donne un coup de main. Disons plutôt qu’elle m’a enrôlé de force …

Moi ça m’intéresse d’apprendre, c’est ma toute première opération champignon … La vie c’est comme les jeux vidéo; il s’agit de gagner des experience points.
L’opération est très simple, on fait des trous dans des branches de marronier et de chêne. Il y a une petite extension qui se met au bout de la perceuse, spécialement conçue à cet effet. On espace les trous de 7 à 8 cm
Trous dans lesquels on met des petits morceaux de bois imprégnés du champignon. On les enfonce avec un petit coup de marteau.

On passe comme ça une bonne heure. On travaille tranquillement. En discutant un peu. La pénurie soudaine de PQ est un sujet. Elle n’a jamais vu ça me dit elle, en quatre vingt ans et des poussières …

Après l’opération, on pose les branches à l’horizontale. On fait un tas aéré. On va attendre jusqu’à l’automne, et laisser le champignon que nous avons ainsi transplanté dans le bois se développer.

Les soucis partent en fumée (tondo)
Le week end de la semaine dernière chaque quartier faisait un tondo, un grand bûcher fait de branches coupées et de bambou. D’un village à l’autre, d’un quartier à l’autre il y a des variations.
Certains villages s’organisent à l’avance et dressent des bûchers tondo magnifiquement arrangées, avec des cordes etc. Certains font un bûcher pour les hommes et un pour les femmes.
Dans notre quartier c’est plus relax, on improvise presque, en montant le bûcher le jour même. On ne fait pas dans la dentelle.

Et puis une fois tout consumé et transformé en braises, les gens se regroupent et se font des petits barbeculs.

Tous rassemblés ainsi autour de saucisses et de bouts de viande grillés on passe un moment agréable. Il y a de la bière, du shochu.
La discussion est animée. On parle des derniers événements.
On s’attarde sur l’avenir sombre et incertain, dans ce pays et ces campagnes où les enfants se font de plus en plus rares. C’est la question qui préoccupe tout le monde. Par contre personne n’est en mesure d’expliquer pourquoi le gouvernement et les politiques s’en battent les couilles.

On me questionne sur les gilets jaunes, et qu’est ce qui se passe avec Carlos Ghosn. On me demande si je connais Carlos, non je connais pas Carlos.
On m’interroge aussi sur la ligne Maginot.
J’explique, puisant dans mes souvenirs de collégien, que les fortifications longeaient essentiellement la frontière allemande car on ne pensait pas que les Allemands oseraient entrer par le côté belge, la Belgique étant alors neutre.
J’ose la comparaison avec les grillages métalliques posés le long du village pour empêcher l’intrusion des chevreuils …. on connaît le résultat …avec les chevreuils qui se baladent dans le village dès que le soleil est tombé.
Une journée agréable et passée en bonne compagnie.
Avoir de bonnes relations avec ses voisins, se savoir entouré de personnes en qui on peut faire confiance, et faire partie d’une communauté solidaire et respectueuse de chacun. C’est si important.
C’est si rapide (le mur)
Ce projet de mur le long de la maison et de la rivière … déjà fini ? C’est si rapide. La bétonneuse a bien aidé. Et j’ai bien pougné ce week end !
J’aurais pu continuer et aller encore un peu plus haut … mais je vais m’arrêter là; au moins pour le moment.
La semaine dernière

Et aujourd’hui

La semaine dernière, quand je m’activais à porter des pierres, une voisine est venue me voir et m’a dit:
‘Toi tu n’es pas comme Carlos Ghosn’ あなたはゴーンさんと違う
Tout est dit.
Dimanche pluvieux, inventaire des porcelaines
Il pleut ce dimanche j’aurais fait sinon un tour en vélo. Cette pluie est bienvenue par contre pour les concombres plantés la veille.
Donc pourquoi pas profiter de la pluie pour explorer la grange attenante à la maison de madame M .
Le rez de chaussée de la grange est tel quel, j’avais demandé à tout y laisser.
Sur des étagères il y a des boites en bois. Les boites sont signées et datées. Elles contiennent des porcelaines. Je les descends toutes pour faire l’inventaire de leur contenu.
La voisine d’en face Madame T. sort ses poubelles et vient me voir …. Madame T. je suis dans son fan club, voici son portrait dans ma BD;
Elle me demande ce que je trafique; je lui explique que je fais l’inventaire …
Puis elle me dit quelque chose de très gentil qui me touche bien ‘ c’est formidable tout ce travail que tu fais dans le village, merci d’être venu de si loin! ah ça nous aide tellement’.
C’est sur que laisser cette maison à l’abandon aurait été source de mélancolie. Retournons à nos boites.
Les boites sont datées de Showa 14, soit 1939. Je vois que tout y est très bien rangé. Et enveloppé dans du papier journal, dont certains fragments sont datés de 1972. Donc Mme M a dû envelopper ces plats vers 1972, et les boites ont du être la sur ces étagères depuis un demi siècle. Depuis; les habitudes alimentaires ont aussi changé. (exemple, introduction du pain?)
Certaines porcelaines sont en quarante exemplaires. Elles devaient être utilisées pour les grandes fêtes ou les grands événements.
C’est quelque chose ici qui n’intéresse presque personne; la plupart des gens jettent tout cela. On vide les vielles maisons en jetant tout dans des bennes et après; la maison passe à la pelleteuse. Faire place nette. Et on a dû faire pareil en France à un moment. Le formica c’est tellement mieux. Sans parler du plastique.
Arrêtons les digressions et voyons ce qu’il y a dans ces boites.
Tout est en effet très bien rangé. Là ce sont des bols de riz. (茶碗)
Ici des soucoupes et un bol plus grand. Il y a une quarantaine de ces soucoupes.
Elles sont plutôt jolies.
Le papier journal qui les enveloppe est aussi intéressant, parce qu’il fait voyager dans le temps:
1972, la guerre du Vietnam. L’article décrit le bombardement de la ville de Vinh par des B52 Strato Fortress Americains, avec 750 tonnes de bombes larguées.
Cette action fait partie je crois comprendre de l’opération nommée Linebacker, qui s’est déroulée du 9 mai au 23 octobre 1972. In God we trust.
Ces fragments de journal évoquent la guerre, mais ces pièces de porcelaine pour moi elles évoquent la paix, l’art de vivre et la civilisation. Regardez cette jolie pièce.
Il y a également un service à saké.
avec de très jolis choko, gobelets pour le déguster. choko = 猪口 s’écrit littéralement la gueule du sanglier, c’est marrant hein ?
Il y a aussi quelques pièces en bois laqué. Celles-ci portent un aigle comme motif.
Celles-ci un p’tit oazo ?
Je fais la découverte aussi de cette pièce; intéressante parce qu’elle s’inscrit dans un contexte historique:
Une nageuse fait un plongeon. Une inscription signifiant la Natation Japonaise. 日本のスイエイ
Le drapeau japonais d’avant guerre, les cinq anneaux olympiques, l’inscription qui est faite en katakana et pas en kanji ou hiragana, indiquent que ce bol de riz évoque les jeux olympiques qui devaient avoir lieu à Tokyo en 1940. Ils ont été annulés avec la 2e G.M.
Oh c’est une pièce exceptionnelle, qui va payer pour la maison? Non, sur le Net, des pièces similaires se vendent pour 40 euros.
une petite assiette, j’aime beaucoup le motif.
Celles-ci aussi.
Pour finir, des porcelaines il y en avait plein d’autres mais je ne vais pas tout mettre la, un pub pour la Mazda Carole 360, « la voiture familiale ».
Mais on a du fromage!
Un Lecteur (ou une lectrice?) sur le post précédant (la voisine formidable) a fait ce commentaire très juste:
Il y a du cho et du fro-mage, aussi ! il faut lui dire
Tout à fait. Je rajoute donc un phylactère. C’est beaucoup plus drôle ainsi. Merci !
Notre formidable voisine
On sonne à la porte, c’est notre voisine. Elle a un seau plein de légumes; elle nous les donne. (problème de surproduction)
Aubergines; poivrons, châtaignes. mmm on va bien se régaler avec ces bons légumes. Magnifiques…
Cette voisine est très drôle. Je m’entends bien avec elle.
J’étais allé réparer la tombe de ses ancêtres cet été.
En plus d’être une excellente jardinière, elle a un sens de la plaisanterie très poussé. On blague beaucoup tous les deux.
Dans la bande dessinée sur laquelle je suis en train de travailler, ‘Histoires Naturelles’ qui retrace notre vie au village, je la présente d’ailleurs…. La voila:
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